6 juin, 34 ème étape, de Saint-Jean-Pied-de-Port à Roncevaux
Cette fois -ci c'est bien la dernière étape pour cette année!
Après les hésitations d'hier nous sommes bien décidés à franchir les Pyrénées et à arriver à Roncevaux cet après-midi. Nous reviendrons ce soir à Saint-Jean-Pied-de-Port par la navette. J'ai réservé le même gîte pour ce soir.
J'ai choisi la "voie haute" la route Napoléon et ports de Cize et Francis finalement la voie dite "basse" de Varcarlos. Nous nous retrouverons là-bas.
Presque 25km pour moi avec un dénivelé positif de 1240 et négatif de 469m. Pour Francis presque 23km avec un dénivelé positif de 882 m et négatif de 255m.
Nous partons à 7h30 un peu plus tôt que les autres jours. Il faut compter environ 7h pour la traversée et nous voulons avoir le temps de visiter un peu avant de rentrer.
Nous partons également moins chargés, environ 3 ou 4 kg. Comme nous revenons au même gîte ce soir, Eric nous a proposé de laisser nos gros sacs et nous en a prêtés des petits.
Il fait beau et c'est le temps idéal pour admirer les paysages.La plupart du temps les pèlerins ne voient pas grand chose à cause du mauvais temps et parfois même la traversée est interdite...
En haut de la rue nous sortons de la cité par la porte d'Espagne. C'est par là passent tous les pèlerins depuis des siècles...
Au bout de 250m après nos chemins se séparent, tout droit pour moi, à droite pour Francis. A tout à l'heure si tout va bien!
Le parcours commence par une bonne montée puis s'adoucit sur 3 km.
Puis de nouveau la route se met à grimper, c'est la montée dite "d'Huntto". Il y a 500m de dénivelé dans les 2 premiers kilomètres! Et moi qui n'aime pas çà!
Mais tout se passe bien à ma grande surprise. Je fais comme on m'a conseillé de tout petits pas réguliers en évitant de m'arrêter dans la montée. J'attends chaque fois un petit "plat" pour souffler un peu. Déjà autour de moi un beau panorama se détache.
Pendant prés de 3km çà monte pas mal!
A mi-montée, la route tourne vers le sud et le chemin continue sur une piste de terre. Je dois avoir parcouru environ 7km.
La côte se poursuit jusqu'à une table d'orientation à 702m. Là je fais une petite pause pour admirer le paysage, c'est magnifique, je suis déjà récompensée de mes premiers efforts!
Encore quelques centaines de mètres de montée et puis enfin le chemin devient plat jusqu'au refuge d'Orisson à 800m. Là je fais une halte pour acheter un sandwich, remplir ma bouteille et profiter des toilettes. Beaucoup de pèlerins dont Michèle et Florence sont attablés sur la terrasse mais je ne veux pas m'arrêter encore. Je ne me sens pas fatiguée et je ne veux pas couper mon élan.
J'ai prévu de m'arrêter à la Vierge d'Orisson qui se trouve à 1000m environ, reste donc encore du dénivelé à gravir avant le repos.
Les paysages sont de plus en plus sauvages. Nous cheminons au milieu des troupeaux de vaches ,de brebis, de chevaux sauvages, les Pottoks. Tout est bien vert. En contre bas on aperçoit des zones de bergers avec leurs abris, les "Kayolars".
Mais bientot le vent commence à se lever. Jusqu'à Orrisson on ne l'avait pas du tout senti mais plus on monte et plus il souffle!
Il souffle tellement fort sur le côté gauche que parfois nous sommes entrainés vers le ravin! Attention les chapeaux!
(si vous agrandissez la photo en-dessous vous verrez plusieurs pèlerins qui ont dû courir après!)
La petite route continue ainsi et enfin au bout de 11,5 kilomètre la Vierge de Biakorri, protectrice des bergers, est là, à gauche, sur un amoncellement de rochers, un peu à l'écart. Elle est toute petite, toute mignonne.
Biakorri veut dire "les vents qui courent" et je comprends pourquoi!
Je suis heureuse de la voir enfin, c'est le but que je m'étais fixé pour une vraie pause. Je suis maintenant à 1100m d'altitude !
Je m'installe donc sur un rocher après m'être rapprochée d'Elle pour l'admirer.
Derrière Elle le panorama est somptueux, mais quel vent! Heureusement que je suis un peu abritée derrière les rochers...
Avec Damien, le pèlerin d'Angers
Après un quart d'heure je reprends le Camino. Même si çà continue à grimper un peu je sais que le plus dur est maintenant derrière moi.
Il y a même de temps en temps des petites descentes. Quel plaisir!
Vers midi je m'installe sur un rocher, le plus confortablement possible, pour manger mon sandwich. Florence et Michèle s'abritent peu aprés, à quelques mètres de moi, à l'abri d'un muret de parpaings comme il y en a beaucoup dans le coin. Ces murets servent en octobre aux chasseurs de palombes pour se poster...
La petite route nous conduit ainsi jusqu'à la Croix Thibault toute décorée par les ex voto des pèlerins. Je suis à 1228 m et j'ai parcouru 15km.
Des drapeaux de prières sont accroché autour de la croix. Selon la croyance quand ils sont arrachés par le vent les voeux sont exaucés...
A cet endroit là il faut quitter la petite route et tourner à droite sur une piste qui se dirige vers le col ouest du pic Leizar Atheka.
Un peu plus loin un marchand ambulant vend du pain, des fruits, du café hors de prix et surtout il propose le "dernier tampon français" avec la croix Thibault. Je lui achète une banane (1 €!) pour compléter mon repas et il me tamponne ma crédencial.
En marchant mes pensées s'envolent vers tous les "fantômes" qui ont précédé mes pas...Tout d'abord les troupes de Charlemagne puis beaucoup plus tard celles de Napoléon. Ils ont dû bien souffrir avec tout leur harnachement et tout leur matériel! Je pense aussi à ce pauvre Roland mort là en 778, aux Celtes, aux légions romaines, aux Musulmans et aux millions de pèlerins dont beaucoup ont laissé leur vie sur ces hauteurs...
...et comme en écho à mes pensées, je tombe nez à nez sur une plaque d'ardoise vissée sur un rocher. Elle rappelle, elle aussi que l'Histoire résonne sur ce site sauvage.
Je longe maintenant une magnifique hêtraie en direction du col de Bentarte et de la Fontaine de Roland.
Je passe devant une borne jacquaire. Compostelle est a 765km. Je n'ai jamais été aussi prés!
Je marche seule aujourd'hui mais pourtant je ne le suis jamais vraiment tout à fait. Il y a toujours des pèlerins devant et derrière moi. Nous sommes nombreux à traverser. Beaucoup d'Espagnols qui ont pour habitude de démarrer le chemin à Saint-Jean-Pied-de Port. Ils commencent par l'étape la plus dure! Des Chinois aussi, des Japonais et des gens du monde entier et de tous les âges!
Il parait que 73% des pèlerins partent de Saint-Jean-Pied-de-Port.
J'arrive à la Fontaine de Roland à 1317m sur la piste quasiment plate. J'ai marché pendant 16,5km et je ne suis pas très fatiguée.
Je remplis ma bouteille, c'est le dernier point d'eau avant Roncevaux.
Je fais une nouvelle tentative pour joindre Francis au téléphone (impossible jusqu'à maintenant). Cette fois-ci je réussis. Il est proche du col Ibanata et tout va bien. Il est satisfait de son parcours le long de la Nive.
Sur la fontaine on peut lire: "Bidea-Iturria-Bizia" c'est à dire: le Chemin-la Fontaine-la Vie"
250 m après la fontaine je passe le petit col de Bentate à 1325m d'altitude puis je franchis la frontière.
Çà y est je suis en Espagne!
Damien et Isabelle me dépassent encore une fois!
La piste traverse maintenant une forêt, en légers vallonnements, pour atteindre le large col d'Izandorre.
Je passe devant un petit refuge, le seul entre Orisson et Roncevaux. A l'intérieur se trouve un téléphone d'urgence.
On a du mal à se l'imaginer sous ce beau soleil mais ces cols peuvent être très dangereux en cas de mauvais temps. Beaucoup de pèlerins ou randonneurs se sont déjà perdus. En cas de brouillard il parait qu'on ne distingue plus rien.
D'ailleurs depuis la frontière des jalons affichent le numéro d'urgence, le 115, tous les 50m c'est dire...
Le chemin recommence à monter jusqu'au point culminant le col Lepoeder à 1410m. J'ai parcouru presque 21 km. la descente s'annonce enfin!
En haut du col j'ai une vue panoramique sur Roncevaux tout en bas dans le vallon.
(Roncevaux en français, ou Orreaga en basque ou Roncesvalles en espagnol et officiellement Orreaga / Roncesvalles l'Espagne.)
Un choix s'impose à moi maintenant, aller à droite en prenant le GR 12 qui conduit au col Ibaneta ou continuer tout droit dans la forêt sur la piste très pentue qui permet de gagner quelques centaines de mètres.
C'est ce choix que je fais mais en descendant très lentement, en lacets, en m'appuyant le plus possible sur mes bâtons. Je me souviens trop de la descente de Saint-Privat-d'Allier et je ne veux pas me faire mal aux genoux dans les derniers kilomètres!
Certains pèlerins descendent pourtant en courant!
3 km donc de forte descente sur un sentier caillouteux puis la piste s'élargit et s'adoucit et soudain j'arrive à Roncevaux.
J'ai réussi!
Le chevalier Roland agonisant et tenant sa célèbre épée Durandal
La première chose que je fais est de monter au bureau pour faire tamponner ma crédencial. Là, c'est la queue, je dois patienter au moins une demi-heure. Francis me rejoint et me donne sa crédencial.
Le dortoir-restaurant peut héberger jusqu'à 120 pèlerins et c'est une organisation militaire. Plusieurs hospitaliers, parlant toutes les langues sont là pour accueillir les personnes, le tout surveillé par un vigile. Quand arrive notre tour on me dit que je n'ai pas rempli la fiche pour les statistiques (rien ne le signale).Juste notre nom à écrire et 3 croix à cocher mais on m'oblige à refaire la queue, je suis même accompagnée par le vigile au cas où!
Il est bien loin l'accueil souriant des hospitaliers de Conques ou de Vaylats!
Ensuite nous nous baladons autour du monastère dont la fondation remonte au 12ème siècle. Ce monastère comprenait déjà une hôtellerie pour les pèlerins.
L'église Santa Maria du 12ème de style gothique avec à gauche l'hôtellerie pour les pèlerins
Le maître-autel est présidé par l'image de Santa Maria de Roncevaux, du XIVe s., belle statue gothique en bois recouvert d'argent et de dorures
Un magnifique vitrail racontant l'épopée de Roland
Saint-Jacques
Notre Dame des douleurs du 13ème, aux larmes de diamant
A droite, l'édifice le plus ancien d'Orreaga/Roncevaux est la chapelle du Saint Esprit ou Silo de Charlemagne, du XIIe siècle. C'est là que, selon la légende, Roland aurait planté son épée, après la défaite de la Bataille de Roncevaux.
A gauche, l'église de Santiago ou des pèlerins, de style gothique primitif. À l'intérieur est conservée la cloche de l'ancien ermitage de San Salvador de Ibañeta dont le son guidait les pèlerins les jours de brouillard.
Entre la Chapelle de Santiago, le Monument à la Bataille de Roncevaux, dont les reliefs illustrent l'affrontement.
Nous faisons plusieurs fois le tour puis entrons dans un des 2 bars pour prendre un café. Là nous retrouvons le jeune couple de Canadiens qui a dormi dans notre chambre la nuit dernière.
Quand nous sortons, nous apercevons Michèle, Florence, Damien et Isabelle installés sur la terrasse de l'autre bar.
Finalement c'est avec eux que nous prendrons le taxi pour le retour un peu plus tard. En nous groupant le trajet ne nous coûtera pas plus cher qu'en bus et nous gagnons une heure.
Pour la dernière soirée à Saint-Jean-Pied-de-Port nous irons tous ensemble dans un restaurent sous les remparts. Une agréable soirée pour clore le chemin...
Voilà mon parcours français est terminé.
J'ai parcouru environ 770 kilomètres au total, sans encombre, sous le soleil, la pluie, dans la neige et la boue.
Ma tête est pleine de beaux souvenirs et j'en sors grandie.
Reste maintenant exactement la même distance pour arriver à Compostelle.
En 2015 peut-être, qui sait? L'avenir me le dira...
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